Professionnels de la santé et bien-être psychologique: quels impacts de la pandémie de COVID-19?
Dans le but de mieux comprendre les enjeux de santé mentale liés à la pandémie actuelle, le CRISE propose une série de courtes synthèses de la littérature scientifique disponible sur les impacts de cette pandémie pour différents groupes de la population. Ce qui suit constitue la quatrième synthèse de la série. Elle concerne les impacts de la pandémie sur la santé mentale des travailleurs du domaine de la santé.
Selon une méta-analyse (Pappa et al., 2020) qui agrège les données issues de plusieurs études, des symptômes d’anxiété, de dépression et d’insomnie ont été observés chez les travailleurs de la santé. Néanmoins, parmi les professionnels qui souffrent de dépression ou d’anxiété, la grande majorité auraient des symptômes légers.
On rapporte les prévalences regroupées suivantes:
- Anxiété: 23,21% (IC: 95%, 17,77-29,13).
- Hommes: 20,92%; Femmes: 29,06%
- Médecins: 21,73%; Infirmier(-ère)s: 25,80%
- Symptômes légers: 17,93%; symptômes modérés/graves: 6,88%
- Dépression: 22,8% (IC: 95%, 15,1-31,51)
- Hommes: 20,34%; Femmes: 26,87%
- Médecins: 25,37%; Infirmier(-ère)s: 30,30%
- Symptômes légers: 24,60%; symptômes modérés/graves: 16,18%
- Insomnie: 34,32% (IC: 95%, 27,45–41,54)
- Sous-analyses non disponibles en raison de la petite taille de l’échantillon total.
Par contre, ces données doivent être interprétées avec prudence en raison de plusieurs enjeux méthodologiques importants (voir la section Comment interpréter ces résultats plus bas).
Facteurs de risque potentiels: pistes de réflexion
Des études publiées dans d’autres contextes d’épidémies rapportent que les travailleurs de la santé constituent un groupe à risque de subir des impacts psychologiques négatifs.
Les données actuelles ne permettent pas d’établir avec certitude des facteurs qui augmentent le risque d’impact négatif sur la santé mentale des professionnels de la santé. Par contre, deux revues de littérature (Spoorthy et al., 2020; Talevi et al., 2020) et une revue rapide de la littérature (Neto et al., 2020) proposent quelques pistes:
- Caractéristiques de la pandémie créant un climat anxiogène: les connaissances incertaines, la rapidité de propagation du virus, la sévérité de la pandémie, les décès de soignants et l’absence de protocoles de traitement ou de vaccin auraient installé un climat anxiogène.
- Facteurs organisationnels sources de stress:
- Le déficit d’équipements de protection individuels, la réaffectation de postes, le manque de communication, le manque de matériels de soins, le bouleversement de la vie quotidienne familiale et sociale peuvent être sources de stress, notamment parce qu’ils augmentent la possibilité d’être infecté et de transmettre le virus. Par ailleurs, le fait d’être affecté à un autre environnement de travail semble une importante source de stress durant une épidémie.
- Le fait d’être en contact direct avec des patients infectés par la COVID-19 semble associé à des symptômes de troubles psychiatriques plus sévères (Ng et al., 2020). Une étude citée dans Talevi et al. (2020) rapporte que le fait de traiter directement des patients atteints de COVID-19 est un facteur de risque indépendant pour tous les symptômes psychiatriques mesurés (stress, dépression, anxiété, insomnie).
- Facteurs individuels et relationnels qui augmentent le risque:
- Des facteurs comme l’absence de soutien, la crainte de contaminer un proche, l’isolement ou la stigmatisation sociale, un haut niveau de stress au travail ou des patterns d’attachement non sécurisant seraient associés au stress, à de l’anxiété, des symptômes dépressifs et de l’insomnie.
- Les taux seraient plus élevés chez les femmes, ce qui est conforme à ce qu’on trouve pour la population générale et dans d’autres contextes.
- Des taux plus élevés d’anxiété et de dépression sont aussi rapportés pour les infirmiers et infirmières, par rapport aux médecins. Plusieurs pistes d’explications peuvent être avancées, mais il est possible que l’écart soit en partie dû à la prépondérance des femmes dans la profession infirmière, alors qu’une majorité des médecins sont de sexe masculin.
Enfin, des études menées dans divers contextes non liés à la COVID-19 révèlent que la quarantaine et l’isolement peuvent avoir un impact négatif important sur la santé mentale, particulièrement lorsqu’ils durent plus longtemps et qu’ils entrainent une perte de revenus. Dans une recension-cadre, Hossain et al. (2020) rapportent que chez les professionnels de la santé ayant vécus la quarantaine et l’isolement dans différents contextes, on trouve une prévalence élevée de symptômes de dépression, d’anxiété, de troubles de l’humeur, de trouble de stress post-traumatique, d’insomnie, et plus encore.
Facteurs de résilience chez les professionnels de la santé
Une revue narrative de la littérature (Heath et al., 2020) identifie quelques facteurs de résilience ou stratégies qui aident à soutenir la santé psychologique des professionnels de la santé en situation d’épidémie.
Par exemple, les données issues de l’épidémie de SRAS proposent trois éléments clés:
- Développer la confiance des travailleurs à l’effet qu’ils seront soutenus par leur organisation.
- Donner une formation appropriée dans le contexte d’épidémie ou de pandémie, notamment lorsqu’un travailleur est affecté à un autre environnement de travail pour répondre aux besoins liés à l’épidémie.
- Développer les stratégies d’adaptation (coping) des professionnels de la santé, comme la capacité à résoudre des problèmes, demander de l’aide et réduire les comportements d’évitement.
Comment interpréter ces résultats?
Chez les professionnels de la santé, des symptômes d’anxiété, de dépression et d’insomnie ont été rapportés. Ces symptômes ont aussi été rapportés pour les adultes en général (voir Pandémie et santé mentale: quels sont les impacts de la COVID-19 sur la santé psychologique des adultes? ).
Toutefois, il subsiste beaucoup d’incertitude malgré les résultats présentés par la méta-analyse et les résultats doivent être interprétés avec prudence. En effet, certains enjeux méthodologiques demeurent:
- Les études publiées sont hétérogènes : elles utilisent des échelles de mesure différentes ou, lorsqu’elles ont recours aux mêmes échelles, les seuils pour déterminer la présence ou l’absence d’un trouble de santé mentale diffèrent. Les auteurs de la recension systématique font d’ailleurs remarquer que plusieurs études fixent intentionnellement des seuils faibles pour inclure des personnes ayant des symptômes très faibles.
- Les études portent souvent sur des échantillons de petite taille et sont de faible niveau de preuve, ce qui limite grandement leur portée statistique.
- La majorité des études publiées à ce jour ont été réalisées en Asie, et principalement en Chine. Ce facteur limite la possibilité de généraliser les résultats, notamment en raison de différences socioculturelles, économiques et liées aux systèmes de santé.
En terminant, rappelons que les recherches publiées jusqu’à maintenant sont des études de nature transversale, dans lesquelles on évalue la présence de certains problèmes de santé et de santé mentale chez les professionnels pendant leur travail durant la pandémie. Cependant, il n’existe encore aucune recherche longitudinale qui permette de vérifier si le niveau des symptômes, souvent relativement faible, est différent de celui d’avant la pandémie. Plusieurs recherches indiquent que certains professionnels de la santé et du bien-être psychologique ont des niveaux d’anxiété, de dépression et d’insomnie plus élevés que dans la population générale. Il est certainement important de prendre soin des professionnels de la santé et du bien-être et d’augmenter leurs facteurs de protection face aux défis du travail dans le contexte de la pandémie. Cependant, des données québécoises et comparatives sont nécessaires de manière à pouvoir comparer les contextes culturels différents et de pouvoir comparer les professionnels de la santé avec la population générale, non seulement durant la pandémie mais aussi hors pandémie. De cette façon, il sera possible de bien comprendre les facteurs spécifiques aux pandémies, ceux qui sont spécifiques aux professionnels de la santé et du bien-être psychologique en général, et ce qui est considéré dans la moyenne dans un contexte sans pandémie.
Références
Heath, C. et al. (2020). Resilience strategies to manage psychological distress among healthcare workers during the COVID-19 pandemic: a narrative review. Anaesthesia, DOI: 10.1111/anae.15180
Hossain, M.M. et al. (2020). Mental health outcomes of quarantine and isolation for infection prevention: a systematic umbrella review of the global evidence. Epidemiol Health, 42, e2020038. DOI : 10.4178/epih.e2020038
Neto, M. L. R., et al. (2020). «When health professionals look death in the eye: the mental health of professionals who deal daily with the 2019 coronavirus outbreak.» Psychiatry Res 288: 112972.
Ng, Q. X., De Deyn, M., Lim, D. Y., Chan, H. W., & Yeo, W. S. (2020). The wounded healer: A narrative review of the mental health effects of the COVID-19 pandemic on healthcare workers. Asian journal of psychiatry, 54, 102258. Advance online publication. https://doi.org/10.1016/j.ajp.2020.102258
Pappa, S., Ntella, V., Giannakas, T., Giannakoulis, V.G., Papoutsi, E., Katsaounou, P. (2020). Prevalence of depression, anxiety, and insomnia among healthcare workers during the COVID-19 pandemic: A systematic review and meta-analysis. Brain, Behavior, and Immunity, 88, 901-907. https://doi.org/10.1016/j.bbi.2020.05.026
Spoorthy, M. S. (2020). «Mental health problems faced by healthcare workers due to the COVID-19 pandemic-A review.» Asian J Psychiatr 51: 102119.
Talevi, D. et al. (2020). Mental health outcomes of the CoViD-19 pandemic. Riv Psichiatr, 55(3), 137-144.
Références supplémentaires
Albott, C.S., et al. (2020). Battle Buddies: Rapid Deployment of a Psychological Resilience Intervention for Health Care Workers During the COVID-19 Pandemic. Anesth Analg, 131(1), 43-54.
Bansal, P. et al. (2020). Clinician Wellness During the COVID-19 Pandemic: Extraordinary Times and Unusual Challenges for the Allergist/Immunologist. J Allergy Clin Immunol Pract, 8(6), DOI : 10.1016/j.jaip.2020.04.001
Hyun, J. et al. (2020). Psychosocial Support during the COVID-19 Outbreak in Korea: Activities of Multidisciplinary Mental Health Professionals. J Korean Med Sci, 35(22), e211.
Preti, E. et al. (2020). The Psychological Impact of Epidemic and Pandemic Outbreaks on Healthcare Workers: Rapid Review of the Evidence. Curr Psychiatry Rep, 22(8), 43. DOI : 10.1007/s11920-020-01166-z
Shiozawa, P. et al. (2020). An updated systematic review on the coronavirus pandemic: lessons for psychiatry. Braz J Psychiatry, 42(3), 330-331.
Walton, M. et al. (2020). Mental health care for medical staff and affiliated healthcare workers during the COVID-19 pandemic. Eur Heart J Acute Cardiovasc Care, 9(3), 241-247.