Le gouvernement doit rallumer l’espoir en soutenant la recherche en prévention du suicide
Publiée dans Le Devoir, le 10 septembre dernier, dans le cadre de la journée mondiale de la prévention du suicide, voici le contenu de la lettre ouverte rédigée par Brian Mishara et Cécile Bardon avec l’appui et les conseils de nos membres chercheurs.
« En cette Journée mondiale de la prévention du suicide, les chercheuses et chercheurs du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE) souhaitent souligner l’importance cruciale de la recherche interdisciplinaire et des réseaux de recherche dans ce domaine.
En 2022, au Québec, au moins 1102 personnes sont décédées par suicide, 3627 ont été hospitalisées en raison d’une tentative de suicide, 4617 ont visité les urgences pour cette même raison et près de 35 000 personnes ont consulté les urgences à la suite d’idéations suicidaires. Parmi les personnes ayant été hospitalisées, 17 % le seront de nouveau et 2,5 % décéderont par suicide dans les douze mois suivant leur passage à l’acte. On considère que pour chaque personne décédée par suicide, une centaine de personnes sont affectées ou endeuillées.
Malgré une diminution régulière des décès dans les vingt dernières années, les idéations et les tentatives sont en hausse. Il ne faut donc pas se satisfaire des statistiques indiquant une baisse du nombre de décès : le suicide demeure un problème préoccupant.
Le suicide est loin d’être un phénomène que les chercheurs peuvent décrire et comprendre une bonne fois pour toutes. Les comportements suicidaires varient beaucoup, selon l’âge, le sexe, le statut socioéconomique, l’état de santé, les régions, le temps. Les connaissances scientifiques et cliniques doivent continuellement être mises à jour pour que nos pratiques demeurent les plus efficaces possibles et en adéquation avec le vécu des personnes qui souffrent.
La Stratégie nationale de prévention du suicide 2022-2026, Rallumer l’espoir, présentée avec fierté par le ministre de la Santé, Christian Dubé, lors du Congrès national de la prévention du suicide coorganisé par le CRISE à Montréal, au printemps 2022, a insufflé un vent d’optimisme dans le milieu québécois de la prévention du suicide. Les réseaux communautaires, ainsi que ceux de la santé et des services sociaux, étaient portés par une énergie renouvelée. Le CRISE était également prêt à répondre à l’appel, à poursuivre son travail acharné pour produire des connaissances pertinentes avec ses partenaires des milieux de pratiques.
Rallumez notre espoir
Malheureusement, depuis le printemps 2024, plus aucun réseau de recherche consacré à la prévention du suicide n’est financé par un organisme subventionnaire provincial québécois.
Pourtant, la mesure 4.1 de la Stratégie nationale vise directement le soutien aux projets de recherche qui permettront de développer de nouvelles connaissances ou d’adapter des pratiques prometteuses. Dans un but probable d’efficacité, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) mise de plus en plus sur des recherches ponctuelles en fonction d’objectifs formulés par ses fonctionnaires.
Cependant, ces projets ponctuels doivent être soutenus par des réseaux de collaboration forts. Les 23 chercheuses et chercheurs du CRISE travaillent depuis plus de vingt ans avec un réseau solide de partenariats bien établis, à des projets de recherche collaborative. Avec la perte de notre financement, c’est tout ce réseau de collaboration qui s’effrite, ainsi qu’un lieu de réflexivité sur les besoins émergents de nos populations les plus vulnérabilisées. La recherche en prévention du suicide indépendante va prendre un retard qui sera difficile à rattraper.
L’indépendance de la recherche permet de mener des travaux interdisciplinaires, flexibles, proactifs, innovant, afin de garantir une adaptation constante des connaissances scientifiques aux besoins changeants de notre population. C’est la recherche indépendante qui a démontré l’incidence des inégalités sociales sur les comportements suicidaires et qui a envisagé la prévention du suicide comme une stratégie globale, qui doit aller au-delà de l’intervention en santé mentale.
En cette période de grands bouleversements dans le réseau de la santé et des services sociaux, l’équipe de recherche du CRISE souhaite rappeler aux décideurs, et en particulier au ministre du MSSS et à la nouvelle présidente de l’agence Santé Québec, l’importance de financer adéquatement les réseaux de recherche universitaire québécois qui se vouent à la prévention du suicide. Les réseaux de recherche comme le CRISE permettent de structurer le développement des savoirs avec des programmations cohérentes, soutenant efficacement les décideurs et les praticiens.
Nous sommes essentiels à un écosystème en santé, doté d’équipes de recherche performantes, passionnées et capables de comprendre le suicide dans toute sa complexité. Pour « faire du pouce » sur le nom de la stratégie nationale de prévention du suicide : rallumez notre espoir ! et financez les groupes de recherche ».